Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les gens ne déménageaient jamais, sauf quelques fois après un mariage ou la mort d’un proche. On naissait dans la maison paternelle ou maternelle, où on y grandissait ensemble jusqu’à la mort.
Lorsqu’un déménagement était nécessaire pour des raisons exceptionnelles, la parenté et les voisins venaient offrir leurs services et en un rien de temps le travail était accompli sans heurts et sans frais. Ensuite, c’était une fête improvisée par tous ceux qui participaient à cette corvée qui se terminait toujours par des réjouissances assez caractéristiques. Aujourd’hui, les déménageurs professionnels emballent et déménagent à un endroit indépendamment des distances à franchir. Au début de la colonie, il n’y avait que de petites maisons de bois, non subdivisées, pas très solides avec des assemblages très simples de pièces embouvetées aux encoignures. Elles se démontaient facilement, ce qui simplifiait leur transport, avec le peu d’équipement dont on disposait. Ce fut le cas le 11 mars 1681 lorsque le sieur Lamothe « promet et Soblige de charoyer et traîner, la maison et grange » d’Urbain Tessier, époux de Marie Archambault, fille de notre ancêtre, et de les monter sur leur emplacement, moyennant la somme de 20 livres[1]. Le transport des immeubles ne date pas d’hier.
En 1936, Léonidas Archambault, fils d’Hermas et d’Arline Guertin, acheta une maison dans le troisième rang de Saint-Denis et décida de la transporter à Saint-Antoine pour son fils Léo qui se mariait. L’hiver venu, on attela donc quatre chevaux à la maison qui était déposée sur trois sleighs, le tout attaché par des poulies et des câbles retenus par des équipes d’hommes robustes. Mais les berges étant assez abruptes du côté de Saint-Denis un peu en haut du village, la maison commença à prendre de la vitesse dans la pente et les hommes, malgré eux, furent forcés de lâcher prise. N’eût été un nœud dans un des câbles qui bloqua dans la poulie, on peut imaginer ce qui aurait pu arriver! Mais les berges du côté de Saint-Antoine, bien plus douces à cet endroit, présentaient aussi des difficultés. Les traîneaux vinrent frapper le quai de roche et se fracassèrent. Il fallut atteler quatre autres chevaux et réparer les traîneaux afin de réussir à sortir la maison de la rivière. Inutile d’ajouter que le village au complet assistait au spectacle. La preuve de cette réussite est toujours là, au 572 du rang l’Acadie, où la maison poursuit son existence paisible[2].
Par suite de la mise en valeur de la Baie-James vers les années 1975, une multitude de contrats ont été accordés à des entreprises privées, qu’il s’agisse de construction de routes, d’aéroports, de digues ou de maisons. Ce fut le cas d’un contrat accordé à la firme Mobile Home Transfert, dont le propriétaire est Paul Archambault, fils d’Engelbert et de Margaret Daley[3].
Cette entreprise qui transporte des maisons mobiles remorqua le premier bâtiment modulaire pour les entrepreneurs à la Baie-James. Paul Archambault, retraité et demeurant à Lacolle, en Montérégie, exploitait également un commerce qui louait des camions et remorques sous la raison sociale Les Locations Archambault.
Grâce à son ingéniosité, à sa débrouillardise et à son courage, Apollinaire Archambault, fils de Joseph et de Victorine Ayotte[4], a réalisé malgré toutes les difficultés prévisibles et imprévisibles un colossal et démesuré projet devenu un extraordinaire défi. Il a déménagé sa maison de Trois-Pistoles au Bic, sur une distance de 60 km.
Effectivement, il a utilisé des billots sur lesquels roulaient les murs complets, les parties du toit de sa maison devenue une sorte de mécano. Les chevaux servaient de puissance pour déplacer et faire accéder sur le wagon la demeure réduite en pièces détachées. Câbles et poulies canalisaient les énergies et rendaient la tâche moins épuisante tant pour les hommes que pour les chevaux.
Arrivé à destination, c’est-à-dire à la gare, « la station » du Bic, on a utilisé le même procédé pour traîner le matériel jusqu’au cap sur lequel elle est définitivement « ancrée » depuis 1913 ou 1914. Le travail de reconstruction s’est fait par corvée constituée d’amis et de parenté du côté des Bellavance. Aujourd’hui, cette maison est centenaire. Au mois d’août 2000, elle a été l’objet d’un article intitulé « Décor théâtral sur fond de tradition » dans la revue – Décoration « Chez-Soi ». Apollinaire Archambault est le grand-père de Roch, ancien secrétaire de notre association, et oncle de Camille, notre président fondateur.
Cette maison à pignons et à lucarnes est coiffée d’un toit de tôle ondulée passé à l’aluminium à l’origine. Habillée de bardeaux de cèdre depuis ses tout débuts et peinte en blanc avec des cadres de fenêtres et de portes en vert, elle est aujourd’hui repeinte en bleu clair tirant plutôt sur le mauve. On a conservé la couleur et l’architecture de la grande galerie avec ses planches en forme de rames et ses hauts poteaux dessinés et tournés par Apollinaire. C’est une maison à deux cheminées. Fenêtres en bois à carreaux, extérieur accueillant et chaud, elle a toujours conservé son cachet vieillot.
[1] . Marché entre Mr de la Motte et Urbain Tessier, 11 mars, Claude Mauque.
[2] . Mille saisons, Saint-Antoine-sur-Richelieu, 1750-2000.
[3] . Pierre Archambault, Dictionnaire généalogique des Archambault d’Amérique, vol. 6, p. 161.
[4] . Pierre Archambault, Dictionnaire généalogique des Archambault d’Amérique, vol. 5, p. 106..