La bigamie en Nouvelle-France

Départ de France

La Rochelle a été pendant de longues années la plaque tournante du commerce entre la Nouvelle-France et le royaume. Ce port a vu partir un très grand nombre de colons pour l’Amérique à bord de navires chargés de denrées et d’objets dont ils devaient s’approvisionner en mettant pied à terre à Québec.

En attendant l’embarquement à La Rochelle aux XVIIe et XVIIIe siècles, hommes, femmes et enfants passent le temps comme ils le peuvent. Le départ se fera si les vents le permettent et si le capitaine juge le vaisseau suffisamment chargé. Pour certains, les retards prolongés sur plusieurs semaines s’avèrent catastrophiques. On s’endette pour vivre dans de pauvres hôtels après avoir dépensé en gages son maigre avoir.

La ville qui peut se vanter d’avoir envoyé au Canada le plus de colons est sans contredit La Rochelle. Il est vrai qu’on y venait de toutes les parties de la France pour embarquer à destination de l’Amérique. Un chercheur a relevé les noms de 600 personnes, originaires pour la plupart de La Rochelle et des environs.

Lorsque l’on avait décidé de partir pour le Nouveau-Monde, il arrivait parfois que l’on soit obligé de vendre ses biens ou de les céder. Certains partaient avec femme et enfants, c’est le cas de notre ancêtre Jacques vers 1645, d’autres, la majorité, quittaient seuls et, une fois bien installés, faisaient venir leur famille. Quelques-uns oubliaient même de le faire et se remariaient en Nouvelle-France. D’où des accusations de bigamie.

La bigamie

Étant donné la difficulté de communication entre la France et sa colonie canadienne, il faut admettre que l’occasion pour un colon aventureux de commettre la bigamie était quasi parfaite. Néanmoins, on trouve peu de causes de bigamie dans les dossiers judiciaires de l’époque, et il faut croire que les hommes mariés qui traversèrent l’océan et laissèrent leur épouse en France étaient d’une sagesse exemplaire ou qu’ils trouvaient le moyen de ne pas se faire découvrir.

La toute première cause aux dossiers judiciaires de Ville-Marie en 1651, est celle de Michel Chauvin, dit Sainte-Suzanne. Il doit expliquer sa conduite devant M. de Maisonneuve et le père Claude Pijart. Il juge préférable de s’enfuir et de retourner en France. Trois ans auparavant, il avait épousé Anne Archambault, fille de l’ancêtre Jacques.

Tout allait bien pour le couple jusqu’au jour où le marchand Louis Prud’homme revint d’un voyage en France. Il raconte ainsi au greffier la nouvelle surprenante de sa découverte : « Étant au lieu de La Flèche, en Anjou, un homme s’adressant à moi me demanda des nouvelles de Michel Chauvin. Sur quoi je lui dis qu’il se portait bien et qu’il s’était marié à Montréal. À quoi cet homme me répliqua que c’était un méchant homme parce que, auparavant que le dit Chauvin alla en Nouvelle-France, il avait épousé sa cousine germaine laquelle était encore en vie et se portait bien. »

Quelle malheureuse rencontre pour Chauvin ! Sa nouvelle femme a déjà donné naissance à un enfant nommé Paul qui mourra à l’âge de sept mois. Elle est enceinte à nouveau au moment où le drame éclate. Le tribunal condamnera le bigame à  donner quelque 760 livres à son épouse canadienne, Anne Archambault.

Un cas semblable se produisit en 1664, et le Conseil souverain ordonna l’arrestation de Pierre Bissonnet, meunier, pour répondre aux accusations faites contre lui de s’être marié à Montréal alors qu’il était déjà marié en France.

Ce Pierre Bissonnet, traverse les mers au plus tard en 1658; il loue une ferme de la compagnie de Montréal le 20 décembre 1658; il en louera une seconde, le 21 août 1661 de Gilles Lauzon, époux de Marie-Anne Archambault, sœur d’Anne, épouse du bigame Chauvin.

Bissonnet n’a pas brillé par sa discrétion, car vers 1659 il aurait raconté qu’il s’était marié en France onze ans auparavant, qu’il n’avait vécu qu’un mois avec sa femme et l’avait quittée parce qu’elle avait le renom d’être sorcière.

Le 24 avril 1660, le contrat de mariage de Mathurine Desbordes et Pierre Bissonnet est signé et le mariage a lieu le 3 mai 1660 à Montréal. Puis arrive un nouveau colon connaissant Bissonnet qui s’étonne de le trouver marié, puisqu’il a déjà une femme en France. Cette nouvelle se répand comme une traînée de poudre et le bigame est accusé.

Si la bigamie est connue dès 1661, le mercredi 3 septembre 1664 le procureur du roi en saisit le Conseil souverain qui ordonne d’appréhender ledit Bissonnet et de le constituer prisonnier des prisons royales.

Malgré les rigueurs de la loi, s’il demeure au cachot, ce n’est pas très longtemps. Quoi qu’il en soit, Pierre Bissonnet épouse le 9 octobre 1668 une « fille du Roi » nommé Marie Dallon.

Paul Piché un bigame à son insu[1]

Un troisième bigame l’était à son insu et démontra une sensibilité de conscience extrême quand on le lui apprit. Pierre Piché, dit Lamusette était au Canada depuis 1662 quand il reçut de France une lettre de son père, Louis, lui annonçant le décès de sa femme, Marie Lefebvre. À la suite de cette nouvelle, le requérant épousa, en 1665 Catherine Durand dont il eut trois enfants.

En 1671, Piché apprit d’un homme venant de France la nouvelle déconcertante que son épouse Lefebvre était encore vivante.

Il demanda conseil à l’évêque, qui, sur le point de partir pour la France, lui promit de se renseigner. La mauvaise nouvelle ayant été confirmée, Piché obtint son congé et passa en France où il retrouva sa première femme. Suivant le conseil de l’évêque, il s’embarqua pour revenir au Canada avec ladite Lefebvre sur le navire La Nouvelle-France, mais elle mourut en pleine mer.

En arrivant au Canada, il reprit la vie commune avec Catherine Durand « par autorité de l’Église » et c’est ainsi que son mariage avec elle est réhabilité le 9 septembre 1673.

[1]  Tiré de l’Institut Drouin, Les Canadiens français.